Mohamed Hassad a une étonnante capacité d’adaptation. En quelques semaines, il a endossé le costume du ministre de l’Education nationale et dans quinze jours, il présentera son propre plan de réforme.
Au sein du ministère les cadres ne sont pas mécontents d’avoir un pilote qui sait où il va et ce qu’il veut, qui agit et vite et qui a des idées bien structurées.
Jeudi 15 juin, il était l’invité de l’association des anciens élèves de HEC Paris où il a livré sa pensée qui peut se résumer en peu de mots: changement de cap.
Le changement de cap est clair, il est en partie mis en œuvre et le sera davantage lorsque le plan d’action sera élaboré et validé. Signe des temps, Hassad annonce une communication autour du futur plan, car il est “impossible de réussir sans une mobilisation des acteurs, des partenaires et des Marocains“.
>Les constats:
Tout le monde les connaît, faible performance du système scolaire pour dire les choses en une seule phrase. Les conséquences, tout le monde les connaît: chômage des diplomés, fuite vers le privé, analphabétisme persistant…
Dès la première année du primaire, 20% des élèves redoublent. 100.000 sur les 500.000. “Un enfant qui redouble sa première année est un enfant perdu“, dit Hassad.
A la fac, même chose. Les nouveaux étudiants, pour 40% d’entre eux, décrochent au 1er semestre de la première année.
Et tout le monde soulève le problème de la maîtrise des langues étrangères au supérieur, “mais même l’arabe n’est pas maîtrisé“.
>Des chiffres étourdissants.
“Ce n’est pas simple à faire“, répète Hassad. Il a raison. Les chiffres donnent le tournis. Près de 6 millions d’élèves entre primaire et lycée, et un million supplémentaire dans le privé. Près de 250.000 enseignants. Infrastructure, salles de classes, entretenir, construire, anticiper, former, recruter, etc… Pour un budget en baisse.
>“Que faut-il faire? Je reçois des suggestions de toutes parts“.
“Depuis que je suis au MEN, je reçois des idées, des bouquins sur les réformes de l’éducation nationale dans tous les pays“.
“On me dit: restaurer la discipline (ironique: c’est très facile hein). D’autres: améliorer la formation des enseignants, il y en a 250.000.
Tout y passe : la gestion du management des départements, l’environnement de mauvaise qualité, la surcharge de classes, les langues d’enseignement, le rôle des inspecteurs, le contrôle pédagogique non effectue, le préscolaire…
>“La stratégie nationale, une chance“.
La chance extraordinaire que nous avons, c’est que le CSEFRS (Conseil supérieur de l’enseignement) a élaboré son plan stratégique. “Ce rapport a l’avantage d’avoir tranché des questions fondamentales, comme la question de la langue que l’on traîne depuis 50 ans“. “Ce tabou a sauté avec l’accord de tout le monde“, explique Hassad.
>Ce qui sera fait.
Le ministre révèle que fin juin, un plan d’action de réforme aura été élaboré.
Hassad estime qu’il est important de hiérarchiser les priorités.
Le précédent plan d’urgence a réussi la généralisation, on est quasiment à 100% à partir de 5 ans.
Mais ce plan selon le ministre, a dispersé les efforts.
Il y a une démarche classique, qui consiste à partir d’un plan stratégique, de confier l’élaboration des mesures d’application à un cabinet externe. “J’ai décidé de faire exactement le contraire. La réforme ne partira pas d’en haut. Elle partira de l’école, nous travaillerons au niveau de l’école. Il y aura des mesures concrètes, visibles“.
Année par année, le ministère déclinera pour chaque rentrée à venir, les mesures qui entreront en vigueur. Cette année par exemple, il n’y aura plus de classe de plus de 40 élèves. 80% des classées seront à moins de 35 élèves et 50% à moins de 30.
Cette année également, le ministère promet qu’il n’y aura plus de classes délabrées, de mobilier et de tables cassés.
La rentrée aura lieu le 7 septembre et l’enseignement sera rapidement opérationnel puisque les emplois du temps auront été préparés au plus tard fin juillet et que 24.000 enseignants supplémentaires auront été recrutés par contrat.
Les inscriptions ne se feront plus APRES la rentrée mais plusieurs mois avant. Cette année, la limite était le 15 juin et 400.000 inscriptions à ce jour, avaient déjà été saisies.
Mohamed Hassad a découvert qu’à l’école primaire, la langue (arabe) était enseignée par le biais de “la méthode globale“. Il en parle avec des accents de consternation. “En arabe, il n’y a même pas de voyelles, comment voulez-vous apprendre à lire aux enfants avec la méthode globale?“. Dès la prochaine rentrée 2017-18, on revient à la méthode classique d’enseignement de la lecture à travers l’alphabet.
De même, le français sera introduit dès la première année, et les heures de langues françaises seront renforcées dès la deuxième année du primaire.
A la prochaine rentrée, le nombre de places pédagogiques pour le bac technique passeront à 70.000 contre 14.000 actuellement.
Hassad annonce également une “forte accélération du baccalauréat international“, sans plus de détail.
>Le pouvoir aux AREF
Le ministre de l’Education nationale annonce que les AREF (académies régionales de l’éducation et de la formation), auront beaucoup plus de pouvoir. Seul ce qui est stratégique restera central: enseignement rural, programmes…
“J’ai délégué tous les pouvoirs aux AREF sauf ce qui est stratégique“.
>Communication, syndicats.
“Je le dis clairement. Sans les partenaires sociaux, nous ne pourrons rien faire. Il y a eu auparavant pratiquement une coupure avec les syndicats. S’ils ne sont pas avec vous, vous ne pourrez pas réussir la réforme“.
Le plan d’action de la réforme doit être compris par tous les Marocains. “Vous devez être capable d’expliquer saison par saison à tous les Marocains, ce qui va être fait, pour créer une mobilisation de l’opinion publique autour de la réforme“.
“Pour réussir, nous avons besoin de la confiance de tout le monde, le personnel du MEN, les autres ministères tels que les Finances, la confiance du politique…“
“La confiance n’est acte de foi. Il faut être capable d’expliquer à chacun ce que l’on fait. Ecouter puis interagir. C’est le rôle du ministre“, promet Hassad.
Il faut savoir agir vite: Hassad révèle que la décision de recruter de suite les 24.000 enseignants a été prise dans les quinze premiers jours de sa nomination, sinon elle n’aurait jamais pu être mise en vigueur.
>“Trop de dilution des responsabilités“.
“N’importe quel auditeur vous le dira: la dilution déresponsabilise. Il y avait trois directions pour s’occuper de pédagogie ? Désormais il y en aura une seule. C’est pour cela que les programmes sont inchangés depuis 2002.
>“Le soutien de Sa Majesté est décisif“
“J’ai de la chance, Sa Majesté attache la plus grande importance à cette réforme. Il en a fait la seconde priorité après la cause nationale“.
Ce soutien sera le pilier de la réussite: “Au Maroc, quand Sa Majesté est derrière quelque chose et que les gens le savent, ça marche et tout le monde suit. Quand il arbitre, tout le monde s’aligne“, explique Hassad.
>“Nous réussirons“.
Hassad se dit optimiste malgré la complexité du chantier de réforme.
Il espère créer un cercle vertueux, une dynamique positive, une mobilisation générale autour de l’école.
L’histoire récente du Maroc l’a prouvé : lorsqu’une réforme est crédible, elle est anticipée par les acteurs concernés. S’il arrive à convaincre, ce ne sera pas forcément aussi compliqué.
>La Darija, un sous-produit?.
Sur la darija, Mohamed Hassad a eu des mots durs : “le débat n’est pas du tout d’actualité, il a été lancé hors de l’école et du système éducatif, il doit y rester, il a été très mal engagé. On aurait pu parler d’un arabe simplifié, mais pas de darija. Le débat a été pollué (sic). Nous ne serons pas entraînés dans ce débat-là“.
source:medias24.com